Loyautés radicales. L'islam et les "mauvais garçons" de la Nation
Ouvrage de Fabien Truong. Texte de Iman Elfeki (étudiante en M1).
A l’occasion de la publication de son dernier ouvrage, Fabien Truong propose une conférence de deux heures afin de présenter son travail et d’ouvrir un espace d’échanges quant à ses méthodes et résultats.
Fabien Truong, sociologue et professeur agrégé à l’Université Paris 8, enseigne pendant six ans en lycées de Seine Saint Denis. Il travaille auprès du Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris, au sein de l’équipe Cultures et Sociétés Urbaines. Lors de sa présentation en début de conférence, il explique avoir été frappé par la violence dans laquelle semble évoluer et grandir ses élèves. Désireux de mieux les comprendre, il décide de sortir du cadre de la salle de classe et de rencontrer ses élèves dans d’autres champs. C’est ainsi qu’il va suivre cinq jeunes pendant cinq à neuf ans et travailler dans le détail ethnographique pour étudier le processus long qu’est la production sociale du quotidien, de l’intimité. Il effectue également un deuxième terrain, cette fois à Grigny (Essonne), où il se lance dans le projet de réaliser une ethnographie post-mortem du tristement célèbre, Amédy Coulibali, à travers la rencontre d’une quarantaine de personnes ayant côtoyé le jeune homme de son vivant.
Fabien Truong s’intéresse à la question suivante : en quoi le désir religieux, et notamment le désir d’islam peut conduire à une trajectoire belliqueuse ? Après une critique franche des théories de M. Kepel et Roy appuyées sur des analyses très éloignées du terrain d’après lui, il explique que dans la majorité des cas, l’islam est une ressource interne pour ces jeunes dans un processus de pacification, malgré une exposition considérable à la violence. « Mais aussi, parfois, une mise en scène spectaculaire qui transforme l’impasse en un cri de guerre. » Il illustre à travers plusieurs exemples comme le désir d’islam chez les jeunes « de la seconde zone » répond à d’autres questions très profondes telles que celles de la transcendance (phénomènes de « dépossession altruiste »), du désir d’intellectualité (souvent niées, recouvrées avec la place centrale du livre en islam), de l’esthétisme (à travers l’expérience du beau), de politiques (à travers les questions profondes de la reconnaissance et de l’appartenance).
Mais au-delà de ces questions, Fabien Truong explique lui-même que ce livre, s’il fallait le résumer, traite en réalité des « conséquences de l’exposition durable à la violence, ou comment fabriquer des guerriers ». En effet, ces jeunes expérimentent un rapport à la mort très complexes : il parle « d’omniprésence de la mort dans leur vie ». Tous ont perdu des proches de façon non naturelles (règlement de comptes entre quartiers ou bandes, rixes, affrontements avec les forces de l’ordre, consommation de drogues, etc.) et ont au moins un parent décédé, handicapé à la suite d’un accident de chantier, etc. Ces traumatismes à répétition viennent poser la question du deuil d’une part, et celle de la « perception morale de [leur] propre vie » d’autre part, eux les survivants. Ces questions soulèvent de profondes problématiques métaphysiques aboutissant presque systématiquement à la haine de soi et à une grande culpabilité.
Enfin, à travers nos échanges (conférencier/auditorat), nous avons émis l’hypothèse, qu’au-delà des solutions éminemment politiques à l’égard de ces territoires, l’école pourrait constituer d’une part le tremplin socio-académique ouvrant les portes de milieux professionnels jusqu’alors opaques à ces jeunes et d’autre part, le lieu d’accueil et d’accompagnement de ce vécu violent destructeur. L’élaboration de ces dispositifs nécessiteraient avant tout une meilleure compréhension du quotidien de ces quartiers et une prise de conscience de notre responsabilité collective les concernant, tant dans leur construction que dans leur maintien.
F. TRUONG. Loyautés radicales, L'islam et les "mauvais garçons" de la Nation. La Découverte, 2017.